Rôle et utilité du gambison aux XIIe et XIIIe siècles en Occident

de l’importance de la recontextualisation face aux biais des pratiques modernes (reconstitution historique ; « escrimes anciennes/médiévales »)

Introduction

A quoi sert un gambison ? La question peut paraître étonnante tant la réponse semble évidente au premier abord. Demandez à n’importe quel historien, adepte de la reconstitution historique ou pratiquant d’ « escrimes anciennes/médiévales » (que ce soit les AMHE, l’escrime artistique ou d’autres pratiques) et vous obtiendrez la même réponse : si le haubert protège des coupures, le gambison sert quant à lui essentiellement à amortir les chocs [1]. C’est en partie vrai de nos jours dans le cadre d’une pratique sécurisée. Mais est-ce bien là le rôle historique du gambison ? Malgré le profond ancrage de ce discours, nous verrons qu’il est très largement erroné.

[1] Certains affirment (à tort) que son but est également de diminuer le frottement des mailles. ROZOUMNIAK Elena. Le vêtement et la coiffure dans les romans français des XIIIe et XIVe siècles : étude de lexicologie, de critique littéraire et d’histoire des sensibilités médiévales. Thèse : Art et histoire de l’art. Paris IV Sorbonne, 2006.


Morphologie et composition des armures textiles

Pour simplifier, nous regrouperons ici sous le vocable « gambison » toute armure textile (rembourrée ou non) utilisée à l’époque féodale : gambeson, wambai, tunique gamboisée, akketon, auqueton, contrecurée de toile, pourpoint, etc.

 

Les sources textuelles indiquent que l’armure textile occidentale pouvait être composée de couches de lin ou de soie et garnie de bourre de coton ou de bourre de soie [2]. Certaines sources écrites très détaillées indiquent qu’elle pouvait également être composée de plusieurs couches de lin superposées sans rembourrage interne [3]. Mentionnées dès le milieu du XIIe siècle dans les écrits [4], il faut attendre le début du XIIIe siècle pour voir apparaitre timidement les armures textiles dans l’art (Fig. 1 & 2).

 [2] BOILEAU Etienne, Le Livre des métiers, vers 1268, dans Les métiers et corporations de la ville de Paris, édité par BONNARDOT François et (DE) LESPINASSE René, Paris, Imprimerie Nationale, 1879, 370 p.

 

[3] NIGER, Radulfus, SCHMUGGE, Ludwig, De re militari et triplici via peregrinationis Ierosolimitane (1187/88), Berlin, Boston: De Gruyter, 2013, 241 p.

 

[4] La première mention connue à ce jour de gambison se trouve dans le Roman de Rou et des ducs de Normandie écrit vers 1160-1170 (v.7691) : « La gent a pié fu bien armée […] Plusors orent uestu gambais ». ANDRESEN Hugo, Maistre Wace's Roman de Rou et des ducs de Normandie, Paris, Gebr. Henninger, 1879, 828 p.


Quant aux premières représentations irréfutables de combattants revêtus, pour seule protection, d’armures textiles, elles se trouvent dans la célèbre « Bible de Maciejowski » datée du milieu du XIIIe siècle [5] (Fig. 3 à 7). En étudiant attentivement les enluminures richement détaillées de ce manuscrit, on s’aperçoit que le traitement graphique de ces armures indique une construction souple et relativement fine : plis au niveau de la ceinture, fluidité du vêtement, girons avant représentés [6], bras anatomiques. 

[5] « Bible de Maciejowski », Pierpont Morgan Library, New-York Etats-Unis, MS M.638, nord de la France, vers 1240-1250.

 

[6] Les girons sont les pièces triangulaires que l’on retrouve communément sur les tuniques, devant, derrière et sur les côtés. Assemblés par paires, ils servent à ajouter de l’ampleur au vêtement. 

 


Fig. 8 -  Guerre Féodale 2018 - Photographie : Baptiste Vignasse
Fig. 8 - Guerre Féodale 2018 - Photographie : Baptiste Vignasse

 

 

 

 

On est très loin des réalisations modernes très épaisses que l’on rencontre régulièrement dans le milieu de la reconstitution historique. Ci-contre (Fig. 8), un essai de gambison rembourré à la laine brute. Cette réalisation a depuis été abandonnée par son porteur car le rendu visuel, la mobilité et sa construction n'étaient pas satisfaisantes.


La seule pièce archéologique conservée d’un vêtement rembourré, probablement initialement réalisé pour un usage militaire [7] est la manche dite de « Saint Martin » conservée dans l’église de Bussy-Saint-Martin (Fig. 9). Faite de plusieurs couches de soie, de lins et garnie de bourre de coton, elle est cependant très fine : de 5 à 8 mm d’épaisseur [8]. Plus tardivement, en 1311, la règle des armuriers de Paris complète celle du milieu du XIIIe siècle en indiquant le poids de bourre de coton à utiliser « tout net » dans un gambison : 3 livres (environ 1468g) [9]. Plus loin, il est intéressant de constater que le gambison dans son intégralité (avec le tissu qui le compose) est considéré comme « épais » à 6 livres (environ 2940g) [10].

Fig. 9 - La manche dite de "Saint Martin" conservée dans son reliquaire. Bussy-Saint-Martin, Seine-et-Marne. https://commons.wikimedia.org/wiki/File:L3442_-_Bussy-Saint-Martin_-_%C3%89glise_Saint-Martin.jpg / Auteur : Lomita
Fig. 9 - La manche dite de "Saint Martin" conservée dans son reliquaire. Bussy-Saint-Martin, Seine-et-Marne. https://commons.wikimedia.org/wiki/File:L3442_-_Bussy-Saint-Martin_-_%C3%89glise_Saint-Martin.jpg / Auteur : Lomita

[7] Des tâches de rouilles retrouvées sur le tissu semblent indiquer qu’il ait pu être porté sous une armure métallique.

 

[8] PIEL Caroline, BEDAT Isabelle, La manche de Saint Martin à Bussy-Saint-Martin (Seine-et-Marne), Coré, N°2, Mars 1997, p.38-43.

 

[9] LESPINASSE René (DE), Les métiers et corporations de la ville de Paris : XIVe-XVIIIe siècles, Paris : Imprimerie nationale, 1886-1897, 3 vol. (VIII-711, VIII-773, XXIII-736 p.), II. Orfèvrerie, sculpture, mercerie, ouvriers en métaux, bâtiment et ameublement, p.319.

 

[10] Cette mention de "cotte gamboisiée espesse" ne nous indique pas la destination finale de l'armure. Le texte ne précise pas si elle est destinée à être porté comme unique protection ou sous une armure métallique. Il est cependant intéressant de préciser que les deux récentes tentatives de reconstitution d'un gambison complet extrapolé à partir de l'analyse de la construction de la manche de "Saint Martin" révèlent des poids globaux cohérents avec les indications données dans la règle des armuriers : environ 2,4 kilos pour la proposition de Philippe Cornetet de l'association Cité d'Antan, et environ 1,5 kilo pour celle de Catherine Besson de l'association Les Guerriers du Moyen Age.


L’iconographie n’offrant, hormis quelques rares cas de colletins (Fig. 10 et 11), aucun exemple de gambisons dépassant de hauberts (Fig. 12 à 16) et ces derniers étant le plus souvent représentés moulants [11], d’aucuns plaident en faveur d’une absence généralisée des armures textiles sous l’armure métallique [12]. Pourtant les textes nous renseignent bien sur cette pratique [13], même s’il convient de souligner qu’elle n’est pas systématique. De même, l’argument de la convention artistique paraît aujourd’hui éculé. 

[11] Du moins avant les années 1280.

[12] Phénomène ayant débuté au cours de la dernière décennie à la faveur des premiers essais de hauberts ajustés portés sur de simples tuniques. Cette conception s’inscrit en profonde rupture par rapport à celle qui affirmait jusqu’à lors le port systématique du gambison sous les hauberts. Ces deux visions antagonistes n’accordent pas (ou peu) de place à la nuance et à la multiplicité des configurations.

 

[13] La littérature courtoise, les chroniques et les chansons de geste nous renseignent abondamment sur le sujet. 


Fig. 17 - Reconstitution d'un chevalier hospitalier en 1291. Crédit : Sebastian Völk Ironskin. Source : https://fb.watch/an_VIl_CVI/
Fig. 17 - Reconstitution d'un chevalier hospitalier en 1291. Crédit : Sebastian Völk Ironskin. Source : https://fb.watch/an_VIl_CVI/

 

 

 

En réalité, la silhouette de l’homme armé tel que représenté dans l’art gothique n’est envisageable que si l’armure textile portée sous le haubert est à la fois fine et bien ajustée [14]. Ci-contre (Fig. 17), le reconstituteur Milan Klindworth de l'association Sorores Historiae propose une interprétation convaincante d'une armure textile portée sous un haubert. 

[14] Caractéristique difficile à envisager pour le reconstituteur ou le pratiquant de « combat médiéval » habitué aux gambisons épais destinés aux pratiques sportives modernes.


Il faut toutefois attendre la fin du XIIIe siècle mais surtout le début du XIVe siècle pour en avoir confirmation : la statue qui jadis ornait la façade occidentale de la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg [15] réalisée à la fin du XIIIe siècle ou encore les gisants de Charles 1er d'Anjou (1285), Robert II d’Artois (1317), Louis d’Evreux (1319) et Charles comte de Valois (1325) [16] réalisés dans le premier tiers du XIVe siècle, présentent encore tous la composition classique de l’armure chevaleresque féodale (Fig. 18 à 25) : hauberts et cottes d’arme amples. Le détail qui nous intéresse se trouve au niveau de leurs poignets ou de leurs cols : on y voit des vêtements piquetés dépassant des armures de maille et l’on remarque à nouveau leurs très faibles épaisseurs.

[15] Réalisée à la fin du XIIIe siècle, elle est désormais conservée au musée de l’Œuvre de Notre-Dame, référencée sous le numéro d’inventaire MOND 133 ; 166 (Cat. BEYER sculptures) ; 210 (N° récol.) ; S.133 (Autre numéro).

 

[16] Ces quatre gisants sont actuellement conservés à la basilique cathédrale de Saint Denis.

 


Ainsi s’impose un premier constat : portées seules ou en complément d’un haubert, les armures textiles sont relativement fines. La recherche de l’équilibre entre protection et mobilité est une constante dans le développement de l’armement défensif et les armures textiles n’échappent pas à cette règle.

Protéger des chocs ? Une vision biaisée par une pratique orientée

On ne cesse d’entendre que le but du gambison serait d’amortir les chocs. Cette affirmation résulte d’un apriori renforcé par l’expérienciation des pratiquants. Or cette dernière est biaisée par une pratique décontextualisée.

 

De nous jours la pratique du « combat médiéval » relève du loisir. Dans ce cadre, les coups ne sont heureusement pas portés avec l’intention de tuer ou de blesser, d’où leur ralentissement voire leur arrêt au moment de l’impact. De plus, les épées utilisées dans le cadre d’une pratique du « combat médiéval » quel qu’il soit (Lice, AMHE, Behourd…) possèdent en règle générale un fil épais : entre 3 et 5mm. La sécurisation de ces armes de loisir va ainsi bien au-delà du seul émoussage des tranchants auquel on l’a trop souvent réduite, or l’emploi d’un fil de lame épais est tout aussi lourd de conséquences dans la pratique et entraîne des biais de perceptions importants. 


 

Dans notre société occidentale moderne où l’on cherche à bannir la douleur, les pratiquants ont cherché à optimiser leurs protections avec pour conséquence des gambisons bien plus épais que ce que les sources tendent à nous montrer. Les méthodes et matériaux employés sont de même souvent historiquement incorrects, comme l’emploi de couvertures de laines superposées pour servir de rembourrage, ce qui a un impact direct sur les propriétés mécaniques du gambison [17]. Dans une pratique de loisir (aussi intense soit-elle), une armure matelassée doit en effet offrir un amorti suffisamment important pour neutraliser les chocs délivrés par une arme sécurisée dans le cadre d’une pratique normée. Ainsi, en oubliant le contexte ludique de ces pratiques et les biais engendrés par la recherche de la sécurité - intention, maîtrise des coups portés, fil épais des armes, épaisseur des gambisons plus importantes, on serait tenté d’affirmer que le rôle des gambisons est d’amortir les chocs.

 

[17] Tout comme son ajustement minimal si ce n’est absent.


Dans un contexte martial, le coup est donné avec l’intention de tuer ou de neutraliser son adversaire pour le rançonner. Précisons ici que l’escrime féodale en armure est une escrime « de choc », les estafilades n’étant d’aucune utilité face à une armure [18].  A nouveau la littérature nous renseigne amplement sur cette pratique. Historiquement, les épées sont tranchantes [19] et ont donc un fil de lame bien plus fin que celui d’une épée sécurisée, ce qui réduit considérablement la zone d’impact et rend  par conséquent le choc d’autant plus violent. On sous-estime la différence d’entre un choc porté par une épée sécurisée et celui porté par une épée tranchante. C’est sans commune mesure. Pour en donner un aperçu, nous allons nous intéresser à son unité de mesure : la Pression, qui se définit comme étant la Force appliquée sur une unité de Surface. Dans notre cas, la Surface correspond à toute la partie de l’épée qui touche une cible (épaisseur du fil et longueur de la lame en contact).

 

La Pression se mesure de la façon suivante : P = Force/Surface

 

Ce qui nous intéresse ici est de comprendre l’influence de l’épaisseur du fil de l’épée sur la Pression. Considérons que la Force exercée ne varie pas : même poids d’épée, même vélocité, même longueur de lame en contact. La seule variable est donc l’épaisseur du fil de la lame. Précédemment nous avons vu que le fil d’une épée sécurisée classique variait entre 3 et 5 mm d’épaisseur. Prenons pour notre démonstration le plus petit référent : 3 mm. Bien que le fil d’une épée affutée soit proche de 0 mm, nous retiendrons la valeur de 0,1 mm pour les facilités de notre démonstration.

 

Dans le premier cas nous avons P = F/3

Dans le second cas nous avons P =F/0,1

 

A poids et vélocité égaux, le choc d’une épée tranchante possédant un fil de 0,1 millimètre occasionnera ainsi 30 fois plus de pression qu’une épée sécurisée possédant un fil de 3 mm. Et 50 fois plus qu’une épée ayant un fil de 5 mm.

[18] MARTINEZ Gilles. Des gestes pour combattre. Recherches et expérimentations sur le combat chevaleresque à l'époque féodale : l'exemple du Roman de Jaufré (Paris, BnF, ms. fr. 2164). Thèse : histoire et littérature médiévale. Université Paul-Valéry-Montpellier, 2018.

 

[19] Au XIIe et au XIIIe siècles, on trouve même des mentions d’épées ayant un fil rasoir : « Après a ceint un branc d’acier, oncques nus om ne vit plus chier, si riche de sa valor, cler et tranchant comme rasor » (v.1836). Le roman de Troie par Benoit de Sainte-Maure publié d'après tous les manuscrits connus par Léopold Constans, Paris, Firmin Didot pour la Société des anciens textes français, 6 t., 1904-1912.

« L’espée chainte o lés o le pommel d’argent, plus trenchant que raisor iert d’autri ferement » (v.4899). Doon de Maience, chanson de geste publiée pour la première fois d'après les manuscrits de Montpellier et de Paris par M. A. Peÿ, Paris, Vieweg (Anciens poëtes de la France, 2), 1859, lv + 368 p.

 


Empêcher le traumatisme ouvert

Face à une telle pression reçue, le port d’un gambison n’empêchera nullement les traumatismes fermés : clavicules cassées, épaules démises, coudes brisés, côtes fracturées… Autrement dit, dans un contexte martial, le gambison ne protège pas, ou quasiment pas, des chocs. Son utilité est donc à chercher ailleurs. Alors que l’on maitrisait le soin des traumatismes internes depuis la Préhistoire [20], on craignait bien davantage les coupures qu’on cherchait à éviter au maximum. Avant l’arrivée des antibiotiques, une blessure ouverte pouvait en effet engendrer un sepsis (gangrène, septicémie…) et, avec lui, la mort [21]. La prévention de la blessure ouverte était donc au cœur de la problématique de la protection corporelle. Contre tout attente, c’est vraisemblablement ici que réside le rôle réel du gambison : prémunir du traumatisme ouvert en protégeant des tranchants et en atténuant la perforation des armes.

 

Dans un article écrit en 2014, Jérémy Masse partage les résultats d’une expérimentation sur la résistance des tissus [22]. Face à la coupe, le lin et la soie se révèlent étonnamment d’une grande efficacité [23]. Les expériences que j’ai menées m’amènent aux mêmes conclusions. Avec de simples coups de taille, il s’avère très laborieux d’entailler une armure textile composée de plusieurs couches de lin empilée et tenues entre elles ou rembourrée avec de la bourre de coton. Se pose également la question de la résistance face à la perforation. Les premiers essais que j’ai menés sur un vêtement rembourré montrent qu’une pointe de lance affutée perce très facilement la première couche de tissu mais voit sa progression sensiblement freinée dès qu’elle rencontre le rembourrage. Ainsi face à un coup de lance arrivant en bout de course, il est envisageable que le gambison sauve la vie du soldat. En revanche avec un coup franc porté à pleine puissance à deux mains et à la bonne distance, il est probable que la lance traverse l’armure. A la suite de ces observations préliminaires, il est nécessaire de normer les prochaines expériences par la mise en place d’un protocole plus élaboré afin de pouvoir apporter des réponses plus précises et solides à ces problématiques.

 

Porté en complément d’un haubert, le gambison diffusera peut-être légèrement l’impact sans toutefois que cela ne puisse empêcher le traumatisme fermé. Les sources textuelles nous renseignent très bien à ce sujet [24]. En revanche le gambison pourrait offrir un complément de protection intéressant face à la perforation potentielle des projectiles de type flèches et carreaux. En cas de cassure d’un anneau, le gambison viendrait palier la défaillance du haubert.

[20] On retrouve des fractures traitées dans les groupes humains dès le Paléolithique.

 

[21] Par exemple Richard Cœur de Lion décède des suites d’une blessure engendrée par un tir d’arbalète lors du siège du château de Chalus en 1199. Sa blessure s’infecte et la gangrène gagne son corps, il meurt six jours plus tard.

 

[22] MASSE Jérémy, Des tissus protecteurs [en ligne]. [page consultée le 07 octobre 2021]. Disponible sur : <http://s419357288.siteweb-initial.fr/articles/des-tissus-protecteurs/>

 

[24] La laine quant à elle ne présente que peu de résistance. Cela est dû aux propriétés intrinsèque du matériau. Les fibres végétales qui composent le fil du drap de lin sont plus longues que celles de la laine. Il en résulte une plus grande résistance au cisaillement, à la déchirure et à la coupe.

 

[24] Après avoir combattu à Mansourah, les croisés se font attaquer la nuit par des Sarrasins : « Je me levai et getai un gamboison en mon dos […] car moy ne mes chevaliers n’avions pouoir de vestir haubers pour les plaies que nous avions eues. » JOINVILLE, Vie de saint Louis. Texte établi, traduit, présenté et annoté, avec variantes par Jacques Monfrin, Paris, Librairie générale française (Le livre de poche, 4565. Lettres gothiques), 2002, p.640

 


En conclusion

Dans une pratique moderne du « combat médiéval », dictée par des principes de sécurité, le port d’une armure textile matelassée épaisse offre une protection souhaitable contre les coups délivrés par des simulateurs d’armes qu’ils soient en acier ou plastique. Il est difficile de ne pas projeter le ressenti offert par ces protections destinées à une pratique ludique sur la réalité martiale médiévale. Ainsi l’expérienciation des pratiquants modernes provoque un biais de confirmation.

 

Or les sources indiquent des protections textiles plutôt fines, la préoccupation première étant de se prémunir des traumatismes ouverts. Les différentes expériences menées par des pratiquants montrent en effet que les tissus mentionnés dans les règlementations d’armuriers offrent une réelle résistance face aux tranchants des armes. Ainsi, le gambison est une protection basique réellement intéressante pour le combattant modeste. Cependant, face à ces mêmes armes tranchantes et du fait de la forte pression exercée par leur fil, les armures textiles s’avèrent largement insuffisantes pour amortir les chocs et empêcher les traumatismes internes. Rappelons que le rôle de l’armure féodale (haubert comme gambison) n’est pas de garder son porteur de la douleur mais de lui sauver la vie. Enfin, il convient également de rappeler que la première protection du combattant d’époque féodale est son bouclier. 


rEMERCIEMENTS

Je remercie Gilles Martinez et Jonathan Lair pour leur relecture. J'adresse une reconnaissance toute particulière à Sofian Boucif pour avoir pris le temps de reprendre en entier cet article afin d'en améliorer certaines tournures de phrases. Enfin un grand merci à Gaël Fabre pour nos longues discussions passionnantes sur les épées et leur fils ! 

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Commentaires: 23
  • #1

    Lancelot (vendredi, 07 janvier 2022 15:42)

    Ok, ce travail d'écriture et de documentation est fou. Le sujet est tellement intéressant et bien traité en peu de mots ! Merci pour toutes ces explications !!

  • #2

    Lotesa (vendredi, 07 janvier 2022 15:49)

    Merci beaucoup pour cet article, c'était très intéressant à lire et j'ai appris beaucoup de choses ^^

  • #3

    Geoffroy de Lusignan ( Vincent F) (vendredi, 07 janvier 2022 16:19)

    Sujet hyper intéressant , qui casse les idées reçues de la pratique du combat actuel par rapport au combat martial sur l'utilité et la fonctionnalité d'une armure textile.
    Joli travail Nath

  • #4

    Raillard (vendredi, 07 janvier 2022 17:22)

    Wow ! super sujet bravo ! ��

  • #5

    Martin (vendredi, 07 janvier 2022 17:25)

    Un article abondamment documenté, clair, et passionnant ! Bravo !

  • #6

    Joe sattonnet (vendredi, 07 janvier 2022 17:48)

    Passionnant ! Le travail de documentation est très intéressant et on comprends d'autant plus pourquoi la reconstitution historique a une place très importante dans la recherche historique. L'expérimentation peu aussi être trompeur. Comme cquoi on en apprend tout les jours. Bravo pour cet article !

  • #7

    Peter Novak (vendredi, 07 janvier 2022 17:56)

    Thank you for this wonderful work! Best regards from the US!

  • #8

    Valroth (vendredi, 07 janvier 2022 18:28)

    Très instructif et bien expliqué, et bien étayé par les sources.
    Le principe se tient et je pense aussi que la pourpoincture ajoute à la résistance, de même certaines pratique Cômme le tremprage dans du vin ou de l eau salée.
    Je pense aussi que preserver de la douleur n à pas vraiment d importance, durant l action du combat l adrénaline générée minimise le ressenti...

  • #9

    Aedan Cynafhal (vendredi, 07 janvier 2022 18:37)

    Travail et article très intéressants !!
    Reconstituteur, je garderai donc mon gambison épais mais ne manquerai pas de citer votre article lors des campements à venir

  • #10

    ASTAR DE L'AURIGA (vendredi, 07 janvier 2022 18:39)

    Un étude vraiment intéressante qui a le mérite de recontextualiser le combat "médiéval".
    Il faut du courage pour aller contre les idées reçues, mais c'est ainsi que l'on progresse !
    La suite armes en main pour de futurs tests : présent !

  • #11

    Alban Janvier (vendredi, 07 janvier 2022 20:08)

    Très bel article, bien écrit, bien documenté .
    Merci beaucoup pour ce travail!

  • #12

    Bruno marechal (vendredi, 07 janvier 2022 22:34)

    Très intéressant, cependant il serait souhaitable de bien différencier dans le texte la différence entre choc et pression, ce sont deux notions distinctes. En terme de choc tranchant ou pas on obtiendra la même valeur. (cf EC = 1/2 m.V2)

  • #13

    Tancrède de Sabaudia (samedi, 08 janvier 2022 11:37)

    Article magnifique, très bien structuré avec des sources abondantes. Le fait d'ajouté aussi un aspect mathématique pour argumenté est un bon point pour mieux comprendre la différence entre sport / loisir et réalité du combat.

  • #14

    hervald (samedi, 08 janvier 2022 13:02)

    Quand bien même je partage l'essentiel des conclusions de cet article, je tiens à signaler que l'on devrait peut être séparer l'étude des armures textiles quand elles sont portées seules et portées avec une maille (ou autre) par dessus. D'expérience, je peux dire que quand on porte la maille directement sur sa chemise, on finit avec des écorchures/irritations certes minimes mais pas top. En quand on reçoit un coup, on ressent pleinement les anneaux s'incruster dans la chair. dès lors qu'un gambison fin est porté dessous, le surplus de confort est indéniable et l'amorti en cas de choc est sans commune mesure. Et effectivement, pas besoin d'avoir forcément une très grosse épaisseur pour gagner drastiquement en confort et amorti.
    En revanche, faire un raisonnement par l'absurde en se basant sur la pression pour dire que de toute façon, même avec un gambison épais, la pression est telle que l'amorti ne sera pas suffisant et qu'il y aura des dommage internes, ce n'est pas recevable. Ce n'est pas parce qu'une épée affutée provoquera en un point une pression 30 fois plus forte que cela aura réellement une influence. En effet, ce qui cause la blessure interne, c'est l'onde de choc, en aucun cas la pression !
    Si je prends une aiguille et que je l'enfonce dans mon doigt doucement, jusqu'à presque percer la peau, j'obtiens une force de pression qui sera énorme, bien plus grande que celle qu'une épée maniée par un humain pourra atteindre. Et pourtant, les dégâts sont minimes. Alors, oui la pression va joueur un rôle sur l'onde de choc qui va se propager dans le corps et effectivement, généralement, plus cette pression est localisée, plus l'onde pénètre. Mais cela dépend énormément de la matière se trouvant au point d'impact et de ses capacités de diffusion de l'onde de choc. Donc si l'on doit réfuter les gambisons épais, ce n'est pas du côté de la pression qu'il faut chercher mais peut être simplement que l'on savait obtenir un amortissement suffisant avec une épaisseur moindre que ce que l'on fait actuellement. Et quand je dis suffisant, j'inclus le fait que le suffisant de l'époque n'est pas celui de la notre où l'on cherche à annuler la douleur.

  • #15

    Auteur - Nathanaël Dos Reis (samedi, 08 janvier 2022 14:46)

    Pour répondre rapidement au commentaire précédent :
    - Le haubert n'est jamais porté directement sur une chemise. Une tunique en laine plus ou moins épaisse fait largement l'affaire.
    - Les "écorchures" mentionnées sont le fait des anneaux modernes et surtout de leurs rivets qui sont fabriqué en Inde/Pakistan. Ils n'ont rien à voir avec les anneaux historiques. Sans même parler de la section de fil, la zone de rivetage est saillante et les rivets proéminents. Les anneaux historiques sont beaucoup plus homogènes dans leur forme et les rivets dépassent à peine (et souvent uniquement de l'extérieur). J'invite les lecteurs à consulter les travaux d'Isak Krogh et de Sebastian Völk sur le sujet.
    - "Quand on reçoit un coup, [...] dès lors qu'un gambison fin est porté en dessous, le surplus de confort est indéniable et l'armorti en cas de choc est sans commune mesure" : Argumenter en présentant un ressenti va précisément à l'encontre de ce que cet article explique. Ces expérienciations ne peuvent être retenues du fait du trop grand nombre de biais déjà démontrés.
    - Tout l'enjeu ici est bien la Pression, puisque le postulat par du principe que la Force mais aussi l'Energie cinétique (½ M X V²) sont les mêmes. Les dommages liés aux chocs sont justement calculé par la Pression de contact. Ce qui cause du dégât c'est l'énergie transmise par la surface d'application. Et plus la surface est réduite...
    - Enfin, l'article insiste bien sur l'importance de recontextualiser sa pratique et de mettre en perspective ses propres ressentis, expériences personnelles et de questionner ses interprétations personnelles si elles vont à l'encontre des sources.

  • #16

    Régis Harter (dimanche, 09 janvier 2022 21:47)

    Superbe article, merci. Cela m'amène tout à fait à revoir ma vision des choses (pour l'Antiquité).

  • #17

    Guillaume (jeudi, 13 janvier 2022 13:14)

    Bravo pour ce document, très beau travail, bien écrit et très instructif.
    Parfait rien a dire sinon que ce fût un régale de le lire

  • #18

    Glenn harris (mardi, 18 janvier 2022 04:23)

    Merci pour toutes ces informations, je ne pensais pas découvrir autant de choses sur ce sujet et cela me sera fort utile pour présenter l'armure médiévale avec plus de justesse l'or d'animation historique. Donc bravo et encore merci !

  • #19

    MARSEILLE (mardi, 18 janvier 2022 04:36)

    Merci pour ce post qui est d'un intérêt particulier

  • #20

    Régis Harter (mardi, 18 janvier 2022 12:49)

    Il m'est venu une remarque :
    Ne peut-on pas considérer que la pression ne se fait pas sur la surface du fil de la lame, mais sur la surface d'une rangée d'anneaux ?
    L'épée appuie sur les anneaux qui répartissent déjà le choc selon le diamètre de l'anneau (et du fil, etc etc). Et du coup on se retrouve comme avec une épée bluntée.

  • #21

    Chester (samedi, 29 janvier 2022 19:00)

    Super Article Nath. En tant que cavaliers reconstitueur fin 12ème, je suis convaincu depuis plusieurs années des thèses que tu défends pour les avoir expérimenté à cheval en situation de Bataille reconstituées.

  • #22

    Ghys Jean-Pierre (dimanche, 09 octobre 2022 00:01)

    J'aime beaucoup l'article et son argumentation à ceci près:
    - Entre le début et la fin du Moyen âge, il y a 1000 ans... je ne pense raisonnablement pas qu'on puisse certifier que la façon de combattre, les armes utilisées et les vêtements n'aient pas évolué sur cette étendue temporelle.
    - d'autre part, l'article semble ne considérer que l'épée comme arme d'attaque... quid des diverses armes contondantes, et autres multiples "saloperies" détournées de leur usage premier ou spécialement adaptées à un résultat précis: becs de corbin, masses d'armes, flèches, gourdins, armes d'hast...
    - au delà des simples considérations liées à la pratique de l'épée, on peut aussi se souvenir que les types de combattants différents impliquaient vraisemblablement des techniques de combat différentes, et de par ce fait, des vêtements différents au sein d'une même troupe armée. Condamner en bloc tous les porteurs de gambisons épais me paraît en conséquence un peu excessif...

  • #23

    Robin le Bouc (lundi, 10 octobre 2022 16:28)

    Très intéressant, je partage à mon association d'évocation pour améliorer notre discours sur la présentation de l'équipement militaire. Merci beaucoup !